Le concept de corroboration occupe une place centrale dans les partenariats qui mènent au développement d’activités d’apprentissage axées sur la culture Inuite. Il s’agit d’un concept clé d’Ilinniatitsiguti, le modèle de leçons de Kativik Ilisarniliriniq. Définir l’approche corroborative est un processus itératif qui évolue à travers nos expériences. Cet article de développement professionnel décrit le concept de corroboration et certaines approches, basées sur notre compréhension la plus à jour de ce processus.
Qu’est-ce que la corroboration?
Nous définissions le concept de corroboration comme la création volontaire d’intersections qui permettent de tisser une ou plusieurs perspectives sur un même concept de façon à ce qu’elles bénéficient mutuellement l’une de l’autre à travers une relation où il y a équilibre de pouvoir.
Intersections
Les intersections sont de moments clé où au moins deux perspectives sont considérées simultanément. Il arrive qu’une seule perspective soit considérée à la fois (lorsque les lignes s’éloignent l’une de l’autre). Toutefois, c’est dans leur rencontre, là où il y a intersection, que la corroboration survient.
Tissage
Le tissage réfère à l’importance de créer le plus d’intersections pertinentes possibles. Une seule intersection en début de leçon n’est pas suffisance pour établir une solide corroboration, et peut mener à l’approche thématique.
Bénéfice mutuel
Le processus de corroboration doit être mutuellement bénéfique et élever toutes les approches impliquées. Gardons cette question à l’esprit: comment l’approche A contribue l’approche B, et l’inverse? Si nous ne pouvons répondre à cette question, peut-être qu’il n’y a pas corroboration.
Équilibre de pouvoir
Il est crucial de questionner l’équilibre du pouvoir qui s’établi dans les relations de corroboration. Est-ce qu’un perspective sert seulement de contexte? Est-ce qu’une perspective est implicitement présentée comme supérieure? Nous devons payer attention à cet équilibre.
Comment corroborer?
Observation
La corroboration par observation (avec les 5 sens, ou avec des outils) implique l’utilisation d’une variété de méthodes pour offrir une nouvelle représentation, plus étayée et holistique, d’une idée.
Par exemple, les élèves d’Inukjuaq sont invités à préparer du suvalik dans leur cours de sciences. Cette activité offre l’opportunité de partager des recettes et des techniques familiales, mais aussi d’observer le suvalik à travers le microscope à différents moments de sa préparation. Ainsi, les élèves développent leurs connaissances des mélanges, mais aussi une représentation de ce qui survient lorsqu’ils préparent du suvalik. Ces deux niveaux de représentation, qui se corroborent, approfondissent leur compréhension et peuvent les aider à ajuster leurs ingrédients et techniques lorsqu’ils préparent du suvalik.
Cette approche met l’accent sur l’idée que percevoir le monde à partir d’une variété de perspectives permet d’en développer une vision plus holistique. C’est un peu comme un dessin, où chaque composante qu’on ajoute (textures, ombres, couleurs) nous rapproche d’une représentation plus complète.
Extension
La corroboration par extension survient lorsqu’une idée est étudié d’une perspective A, puis amenée plus loin à travers une perspective B, avant de finalement revenir renforcer la première (A).
Par exemple, les élèves de Kangirsuk apprennent au sujet des conditions qui influencent la navigation sur la rivière (marées, courant, vent) à travers l’observation répétée du plan d’eau. Ils développent une compréhension de ces cycles. Corroborer ces apprentissages par extension peut prendre la forme d’apprentissages sur les ondes (longueur et forme) et sur la façon dont le vent et le courant travaillent de concert à influencer ces paramètres. Les élèves peut ensuite réinvestir ces apprentissages réalisés en contexte contrôlé vers une situation authentique lorsqu’ils planifient une navigation sur la rivière.
Dans cette approche, il est crucial de boucler la loupe et de réinvestir les apprentissages dans leur contexte initial. Autrement, il est facile de glisser vers l’approche thématique ou d’introduire la perspective B comme l’objectif, plaçant la perspective A au rang de contexte.
Approches
La corroboration par approche est un peu comme emprunter deux routes qui mènent à la même destination. Évidemment, ces routes doivent avoir des points d’intersection. L’objectif n’est pas de trouver la voie la plus rapide ou la plus simple, mais plutôt de concevoir une carte routière inclusive.
Par exemple, lorsque les élèves apprennent à construire un igloo, ils doivent développer leur habileté à identifier le type de neige approprié en utilisant l’unak comme une sonde et grâce au toucher. D’autres façons d’identifier un type de neige incluent la mesure de sa dureté, l’observation de sa structure à la loupe et la mesure de sa masse volumique. Ici, il est crucial de ne pas introduire ces méthodes comme des améliorations, mais plutôt comme des perspectives alternatives. Ainsi, lorsque les élèves sondent, à la recherche de sitilluqaq, et détectent la dureté de la neige, ils peuvent se référer à leur représentation étayée de ce que cela signifie. Lorsqu’ils touchent la neige, ils peuvent également se rappeler de leurs observations à la loupe, qui corroborent la sensation des cristaux entre leurs doigts.
Dans cette approche, il est très important ce garder à l’esprit l’équilibre de pouvoir. Nous ne cherchons pas à remplacer, ni à améliorer une perspective. Plutôt, nous cherchons à introduire une variété d’approches qui se soutiennent et s’élèvent mutuellement vers une représentation aux multiples facettes.
Validation
La corroboration par validation survient lorsqu’une perspective est utilisée pour en confirmer une autre. Cela prend souvent la forme de questions ou de prédictions émergeant d’une perspective et pouvant être adressée, validée, par une autre perspective.
Considérons l’exemple des baies. La corroboration par validation pourrait survenir lors de l’apprentissage des conditions dans lesquelles le plus de baies sont produites, en essayant de prédire les endroits où l’on retrouve ces conditions. Les élèves peuvent ensuite mener une enquête auprès des membres de leur communauté pour valider (ou pas) leurs prédictions. L’inverse peut également être une situation de corroboration par validation. Après avoir travaillé avec des membres de la communauté à déterminé les endroits où le plus de baies sont produites, les élèves s’engagent dans un processus d’enquête pour déterminer les conditions qui permettent la croissance de tant de baies à cet endroit.
La prudence est de mise lorsque nous utilisons la corroboration par validation. Il est facile de déséquilibrer la relation de pouvoir entre les perspectives. Il faut garder à l’esprit que chaque approche possède le même niveau de valeur et de légitimité. L’objectif ici n’est pas de prouver, ou de rejeter, mais de créer une synergie entre différentes approches.